Soif d’ailleurs avec Nadia – Décembre
Superlatifs et « togetherness »
par Nadia Fournier
C’est immanquable. Chaque année, la même question revient au gré des salons, des entrevues, des conversations à la volée avec des gens qui ne connaissent pas encore mon aversion pour les raccourcis: « Nadia, c’est quoi ton vin préféré? »
J’ai beau essayer, j’ai du mal à trouver une réponse courte à cette question. J’y vais donc le plus souvent d’un « ça dépend des contextes » et constate de suite la déception sur le visage de mon interlocuteur.
Ils sont comme ça les gens: ils aiment les réponses tranchées. La nuance, ça demande du temps, de la réflexion et ça sied plus ou moins bien au small talk des cocktails dînatoires.
Puis après, comme je n’aime pas les décevoir, les gens, je me force à donner des exemples de situations où tel ou tel vin me fait particulièrement plaisir.
Et si, dans un élan de faiblesse, il m’arrive de mettre de côté ma mauvaise foi et d’offrir à mon interlocuteur une réponse courte et satisfaisante, j’avoue sans trop de peine que mes vins favoris, les bouteilles qui m’ont – et de loin – procuré les plus grandes émotions, sont celles du Domaine de la Romanée-Conti. C’est peu original, mais c’est ça quand même.
Si je vous raconte ça, c’est qu’il y a quelques jours, une personne qui m’est chère a eu la gentillesse et la générosité de sortir de sa cave un Romanée-St-Vivant 1980 du célèbre domaine pour le partager avec famille et amis.
Autour de l’îlot de la cuisine, il y avait des amateurs aguerris et des néophytes, des hommes et des femmes de tous âges; un jeune garçon de 18 ans qui découvrait le vin avec candeur et son grand-père, 88 ans, qui a bu nombre de grands vins, mais qui n’en était pas moins heureux et reconnaissant… et il y avait moi, les sens en état d’émerveillement, les yeux mouillés d’émotion.
Le vin était sublime! D’une étonnante jeunesse, quoique parfaitement ouvert; suave, soyeux et d’une longueur à faire rêve. Nous n’en avons peu ou pas parlé. L’occasion ne s’y prêtait pas. Chacun a médité à sa façon sur le contenu du verre, mais bien au-delà de ça, tous savouraient le plaisir, le bonheur rare d’être ensemble. Les anglos appellent ça le togetherness. On pourrait aussi y voir l’esprit des fêtes.
Des beaux moments de partage entre amis et famille, je vous en souhaite plein en 2019.
Santé et bonnes célébrations!
Quelques vins de Bourgogne, juste parce que…
Pierre-Henry Gagey, le président de la maison Louis Jadot, était en visite à Montréal en novembre dernier à l’occasion de Montréal Passion Vin. Parmi les quelques vins dégustés lors d’un lunch de presse, je retiens d’abord le Saint-Véran 2017, Combe aux Jacques, petit frère du Pouilly-Fuissé, auquel il emprunte le gras, mais aussi la minéralité, la vitalité et la précision aromatique. À ce prix, il en vaut bien d’autres, et des plus chers… (23,65 $)
Dans un tout autre registre, le Puligny-Montrachet 2015 se révèle plus complet en bouche qu’au nez. Salinité, grain serré, structure, minéralité et longueur, avec une fine pointe d’amertume. Il a tout ce qu’on peut espérer d’un bon vin de Puligny. (96,50 $ – SAQ Signature)
Particulièrement séduisant et ouvert lorsque goûté en novembre dernier, le Morey-Saint-Denis Premier Cru Clos des Ormes 2015 déroulait en bouche un tapis de tanins veloutés, qui tissent une texture toute suave; mûr, avec beaucoup de volume en milieu de bouche et une finale compacte et savoureuse. (113,25 $ – SAQ Signature)
Le Chambolle-Musigny Premier Cru les Baudes est issu d’un climat situé juste sous le Grand cru Bonnes Mares. Le 2015 a la patine satinée habituelle de Chambolle, porté par une trame tannique fine, mais compacte en finale. Un excellent vin à mettre en cave jusqu’en 2025. (153,25 $ – SAQ Signature)
Brunello d’une autre époque
J’ai relativement peu d’intérêt pour les vins de Montalcino et j’aime dire à qui veut l’entendre que je préfère de loin acheter deux bouteilles d’un très bon chianti classico plutôt qu’une bouteille de brunello, qui me déçoit le plus souvent dans sa version moderne, concentré et boisé. Par contre, j’aime bien les brunellos des quelques rares producteurs restés fidèles à la tradition locale et privilégiant l’élégance à la puissance.
Parmi ceux-ci, Riccardo Campinoti de Le Ragnaie. Un jeune viticulteur encore relativement inconnu, mais dont les vins gagnent chaque année en notoriété, tant à Montalcino qu’à l’étranger. Campinoti a fait le pari du terroir, misant sur des vinifications parcellaires et très peu d’interventions au chai. La propriété comporte les vignobles les plus hauts en altitude de l’appellation.
La cuvée V.V. (pour Vigna Vecchia), par exemple, provient d’un vignoble planté en 1968, situé dans les collines au sud-ouest de la ville de Montalcino, à une altitude de près de 600 mètres. Le vin est élevé dans un grand chêne de Slavonie plutôt qu’en barrique, comme le sont les vins modernes – et ambitieuses – de l’appellation. Le 2013 est vibrant de fraîcheur, il déploie en bouche des saveurs profondes, des tanins dentelle et une excellente longueur. Une belle bouteille à laisser dormir en cave jusqu’en 2023-2025. (145,75 $ – SAQ Signature)
À prix un peu plus abordable, vous voudrez goûter le Brunello di Montalcino 2013, issu en bonne partie de cette même parcelle de vieilles vignes de sangiovese. Quel vin délicieux! Hautement digeste, très pur, à la fois riche en saveurs, vibrant de fraîcheur et débordant d’énergie. Les meilleurs vins italiens sont pour moi autant d’invitations à passer à table et ce brunello l’illustre à merveille. (93,75 $ – SAQ Signature)
Les raisins qui composent la cuvée Fornace proviennent plutôt de trois différentes parcelles situées au sud de l’appellation, dans le secteur de Castelnuovo dell’Abate, où des températures plus chaudes et des sols argileux et graveleux donnent un vin un peu plus solide, qui porte tout de même la marque d’un millésime frais. (139,75 $ – SAQ Signature)
Guigal, en mode sud
Le domaine de la famille Guigal est un monument d’Ampuis, au cœur du vignoble de Côte-Rôtie, et demeure indissociable du nord de la vallée du Rhône. En 2017, après avoir passé nombre d’années à « magasiner » de manière passive les terroirs de Châteauneuf, Philippe et Marcel Guigal ont acquis le Château de Nalys… au grand étonnement de plusieurs professionnels du vin, dont je suis. Nalys, il faut le dire, ne volait pas bien haut. Tous les vins de la propriété que j’ai eu l‘occasion de goûter depuis une dizaine d’années étaient au mieux corrects, mais avaient le plus souvent un arrière-goût de médiocrité.
Pourquoi diable, avoir choisi Nalys?
« Ma famille et moi avions une idée précise de ce que l’on voulait et une idée tout aussi précise de ce que l’on ne voulait pas, résumait Philippe lors d’un passage au Québec, lui aussi dans le cadre de Montréal Passion Vin. Voilà pourquoi nous avons mis tant d’années avant de nous aventurer à Châteauneuf. »
La famille De Nalys a conservé la propriété jusqu’à la Révolution française, puis le domaine est reprise par une famille chateauneuvoise qui la conserve pendant sept générations. Nalys connaît son âge d’or dans les années 1950 et 1960, sous l’impulsion du Dr Philippe Dufays, suscitant même l’intérêt du Shah d’Iran, qui se porte acquéreur de Nalys. La transaction sera freinée par Jacques Chirac, alors Premier ministre et Nalys sera plutôt racheté par la société française d’assurance Groupama. L’illustre domaine, voisin de Château Rayas et du domaine Henri Bonneau, commence à faire du surplace et traîne depuis une image poussiéreuse.
Depuis leur arrivée en 2017, les Guigal ont replanté et agrandi le vignoble pour en porter la taille à un peu plus de 60 hectares, répartis en trois blocs: La Crau (au nord et légèrement plus en altitude), le Bois Sénéchal (argile sous les galets roulés, ce qui apporte de la fraîcheur) et Grand Pierre (que tout le monde appelle Nalys; sols de saffres et d’argile rouge du Comtat). La famille prévoit par ailleurs convertir le vignoble à l’agriculture biologique d’ici 3 ans. « Le bio, explique t-il, c’est tellement plus facile dans le sud. Ça coule de source. »
Le Saintes Pierres de Nalys 2016, deuxième vin de Nalys est issu des trois terroirs de la propriété, élevé pendant 18 mois en foudres et en cuve inox. Un vin à la fois charnu, compact et élégant; pas très concentré, mais long en bouche et doté d’une minéralité qui accentue la fraîcheur ressentie. À boire d’ici 2021-2023. (67,50 $)
Réputés depuis longtemps pour ses vins blancs fins (qui représentent le quart de la production annuelle), Philippe Guigal et son père ajoutent de nouvelles nuances à leur palette de cépages avec le rachat de Nalys. Leur Châteauneuf blanc Saintes Pierres de Nalys 2017 repose sur un assemblage de clairette, de bourboulenc et de grenache blanc et il est impeccable! Fidèle au style Guigal, pas très concentré, mais il est doté d’une salinité qui coupe dans le gras; complexe et sans la moindre lourdeur. Il continuera de s’ouvrir jusqu’en 2021. (48,75 $)
Champagne (et compagnie)
Enfin, juste parce que c’est la saison, quelques suggestions de belles bulles ouvertes depuis le début de décembre.
Pour l’apéro ou pour la table, la Cuvée Cuis Premier cru brut de Pierre Gimonnet met en valeur les plus beaux atouts du chardonnay. La bouche est fraîche et élancée, puis une richesse sous-jacente se développe avec des notes d’amande et de pain grillé. Complexe, avec une finale crayeuse, qui ajoute à sa prestance et à sa profondeur. (68 $)
Le Premier cru Blanc de blancs, Brut Nature, Arpège de Pascal Doquet est si riche au nez qu’on le soupçonnerait d’être sucré, mais aucune liqueur de dosage n’a été ajoutée à cette cuvée. Sec, fin et délicat ; les saveurs citronnées du chardonnay se dessinent sur un fond de mie de pain et de beurre. Comme tant de champagnes, il gagne à être servi frais, mais pas frappé, autour de 8 à 10 °C. (68,50 $)
Je ne suis pas fan de champagne rosé. En fait, je les trouve presque systématiquement moins bons que leurs pendants rouge. Le Rosé de Saignée, Brut de la famille Fleury est l’une des exceptions qui confirme cette règle. Dense, avec de savoureux goûts de fruits rouges et un équilibre exemplaire. Racé et élégant. L’un des meilleurs champagnes rosés à la SAQ, et pas le plus cher… (74,50 $)
Pour la petite histoire, le terme « saignée » indique que la couleur du vin relève exclusivement du contact entre le moût et la peau des raisins de pinot noir, plutôt que d’un assemblage de chardonnay « coloré » par l’ajout de vin rouge, une pratique largement répandue en Champagne. La couleur est donc plus soutenue que la moyenne, et le vin comporte une bonne dose d’extraits secs qui laisse une texture quasi tannique en bouche.
Une autre exception qui devrait retenir l’attention des amateurs de bulles colorées: le Rosé 2013, Méthode classique de Benjamin Bridge, en Nouvelle-Écosse. Un rosé à l’effervescence élégante, composé de pinot noir à 66 % et élevé sur lies pendant trois ans. Tissé de bulles très fines et porté par une acidité mordante, il a aussi beaucoup de relief en bouche. (49,75 $)
Pour finir, un Crémant du Jura, Brut issu de l’agriculture biologique et élaboré par l’un des vignerons les plus talentueux du Jura: Stéphane Tissot. Aussi complexe en bouche qu’au nez, ample et vif à la fois, structuré et élégant. Moins abordable que la moyenne des crémants sur le marché, mais c’est peu cher payé pour un vin qui se compare avantageusement à certains champagnes… (33,50 $)
Santé! Et bonne année 2019!
Nadia Fournier
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